COVID 19 : LA NEGRITUDE: UNE LITTÉRATURE DE COMBAT ! SES PÈRES
#COVID19 /CLASSE EN LIGNE - Publié le 21 Avril 2020 à 10:11:18
LA NEGRITUDE
UNE LITTERATURE DE COMBAT
« Insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de nègre qu’on lui a jeté comme une pierre. »
— Jean Paul Sartre, Orphée noir
Le mouvement de la négritude se forme à Paris, dans l’entre-deux guerres. À cette période l’idéologie portée par les puissances colo- nisatrices est celle de la table rase : ce sont elles qui ont apporté les valeurs de la civilisation à une Afrique qui jusqu’ici n’avait rien créé, ni inventé. Pour les trois jeunes intellectuels noirs que sont le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Guyanais Léon Gontran Damas et le Martiniquais Aimé Césaire, cette vision est remise en cause par la lecture des ethnologues qui leur révèlent le passé pré-colonial de l’Afrique ainsi que par le combat des noirs amé- ricains et la Harlem Renaissance c’est-à-dire le renouveau de la culture afro-américaine durant les années 20 aux États-Unis. Nour- ris par des écrivains comme Langston Hughes ou Claude Mc Kay, ils lisent La Revue du Monde Noir et se retrouvent dans le salon lit- téraire des sœurs Nardal. Ils finissent par s’associer pour fonder la revue L’Étudiant noir dans laquelle se trouvent les premiers textes théoriques relatifs au concept de la « négritude ».
Ce mot, créé par Aimé Césaire vers 1936, a été ainsi défini par Léo- pold Sédar Senghor dans l’ouvrage, La Poésie de l’action : « La négritude se présente sous deux aspects : objectif et subjectif […]. C’est objectivement l’ensemble des valeurs de civilisation du monde noir, dont le sens de la communion, le don de l’image analogique, le don du rythme fait de parallélismes asymétriques. D’un mot c’est une certaine dialectique, mieux une symbiose entre l’intelligence et l’âme, l’esprit et la matière, l’homme et la femme, etc. La négritude est aussi une certaine volonté et une certaine manière de vivre les valeurs que voilà. C’est surtout ce dernier sens que lui donne Aimé Césaire. […]
Le mot négritude, sur le plan grammatical est irréprochable. Le suffixe « -itude » sert à former des mots abstraits pour désigner une certaine qua- lité […]. Pour désigner l’ensemble des peuples noirs, nous avons le mot de « négrerie ». Pour désigner le pays des Noirs, j’ai repris le vieux mot de « Ni- gritie ». On pourrait employer le vieux mot de « négrisme » pour désigner une doctrine fondée sur « un racisme noir antiraciste », pour parler comme Sartre. Mais c’est là un mot que je n’aime pas employer, parce que notre mouvement, n’est pas ce qu’on nous a reproché. On nous a accusés en effet de le sous-tendre par la haine du blanc, et l’on a présenté le mouvement de la négritude comme un mouvement raciste. Il n’en n’est rien. C’est pourquoi nous n’avons jamais employé à notre compte le mot de négrisme. »
Prise de conscience d’une identité noire et mouvement de combat contre la colonisation, la négritude sera rapidement illustrée par les œuvres majeures que sont les recueils de poèmes Pigments de Léon Gontran Damas, Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire ou encore Chants d’ombre de Senghor. Véritable épiphanie poétique elle marque durablement l’ensemble de la littérature africaine moderne
LES FONDATEURS DE LA NEGRITUDE
Léopold Sédar Senghor, africain humaniste et chré- tien, recherche les points de jonction entre la France et l’Afrique. Cette tension qu’expriment dans ses textes les figures féminines d’Isabelle, la blanche, symbole de la culture française et de Soukeina, la noire, image des racines africaines, traverse toute l’œuvre de Senghor et prend racine dans son parcours personnel : il a passé sa jeunesse au Sénégal puis fait ses études supérieures en France. Particulièrement attaché à ses origines afri- caines, il est donc cependant nourri de culture française admirant Hugo, Péguy ou Claudel. L’engagement lit- téraire se double chez lui d’un engagement politique : il accepte ainsi à deux reprises un poste ministériel en France avant de devenir après l’indépendance de son pays le premier président de la République du Sénégal.
« Ma Négritude point n’est sommeil de la race mais soleil de l’âme, ma négritude vue et vie
Ma Négritude est truelle à la main, est lance au poing Réécade. Il n’est question de boire, de manger l’instant qui passe
Tant pis si je m’attendris sur les roses du Cap-Vert !
Ma tâche est d’éveiller mon peuple aux futurs flamboyants Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô lumières ryth- mées de la Parole ! »
Aimé Césaire, le communiste, demeure un révolté. Né en 1913 à Basse-Pointe (Martinique), il fait ainsi paraître en 1939 son Cahier d’un retour au pays natal, flamboyant poème du ressourcement aux racines nègres. La même année avec sa femme Suzanne et un groupe d’amis, il fonde la revue Tropiques. Poète et homme d’action, il a été également maire de Fort de France de 1945 à 2001, et auteur en 1953 du pamphlétaire Discours sur le colo- nialisme, historien (Toussaint Louverture), auteur de théâtre (La Tragédie du roi Christophe, Une saison au Congo).
« Vous savez que ce n’est point par haine des autres races que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle la sommer libre enfin
de produire de son intimité close la succulence des fruits. »
— Cahier d’un retour au pays natal
Léon Gontran Damas, (1912- 1978) proche des socialistes, tente de moderniser les struc- tures politiques et écono- miques de la Guyane. Il publie en 1937 le recueil Pigments et est le premier des fondateurs de la négritude à illustrer ce concept par un texte poétique.
« Ma mère voulant un fils très do très ré très mi très fa très sol très la très si très do ré-mi-fa sol-la-si do
Il m’est revenu que vous n’étiez encore pas
à votre leçon de vi-o-lon .
Un banjo
vous dites un banjo
comment dites-vous un banjo
Non monsieur
Vous saurez qu’on ne souffre chez nous
ni ban
ni jo
ni gui
ni tare
les mulâtres ne font pas ça
laissez donc ça aux nègres »
— « Hoquet », Pigments